« Tout est verrouillé ! On passe sa vie à ouvrir des portes qui se referment aussitôt qu’on les a franchies. […] Je vous jure ! Des milliers de cadenas ! La vie n’est rien d’autre qu’un vent qui souffle dans tous les sens, buttant contre montagnes et falaises, pour finir dans un trou noir » (pages 68-69).
Assistant à Bordeaux à un spectacle mettant en scène sa propre existence, Racho revient sur sa trajectoire. Fruit d’une liaison entre son aïeule et Arthur Rimbaud, parti d’Ethiopie pour la Guinée avec sa famille, souffrant de l’incompréhension de ses pairs pour son âme d’artiste, il décide d’aller tenter sa chance en Europe où, espère-t-il, il sera mieux accueilli – notamment eu égard à sa prestigieuse ascendance.
« Mes mots étaient les formes, les reliefs que j’imprimais au chalumeau à un bidon usagé, les métaux rouillés que je passais des journées entières à lustrer, à limer, à découper, à souder dans la poussière et la touffeur de cette cité africaine pour leur offrir une expression artistique.
Les mots à moi étaient les courbes que j’imposais aux fils de fer et de cuivre, les motifs que je gaufrais sur des plaques en bois, les édifices temporaires, les stèles que je proposais à la vue, lesquelles étaient constituées d’un assemblage de bibelots.
A l’époque on me surnommait “sculpteur de la récupération“ » (p. 20).
Racho embarque clandestinement sur un navire marchand à destination du Havre. Dès lors commence une errance où la dissimulation et le subterfuge sont les seuls moyens – pas infaillibles pour autant – de faire face à l’imprévu, y compris lorsque Racho aura demandé l’asile politique à la France. Car les autorités n’ont que faire que le clandestin immigré soit le descendant africain d’Arthur Rimbaud.
« Lorsque, pour compléter les informations identitaires, il s’enquit de mon ascendance, j’en vins à lui parler de la relation qui me liait à Arthur Rimbaud.
Il ajouta sur le procès-verbal cette information en indiquant que, bien qu’il pût penser le contraire, sans porter de jugement dénué de preuves qui le pousserait à dépasser le cadre de ses fonctions, je n’avais montré, dans mes allégations devant lui, aucun signe de trouble mental, de démence ou de délire hallucinatoire » (p. 108).
Dans Le descendant africain d’Arthur Rimbaud, Victor Kathémo propose une intéressante et inhabituelle alternance de prose, avec des phrases longues et une langue extrêmement riche, et de dialogues de théâtres, dynamiques et jubilatoires.
Le sujet on ne peut plus actuel de la situation des demandeurs d’asile est traité avec lyrisme et théâtralité, la forme ayant pour effet d’atténuer la dureté du fond. La poésie qui surgit au détour de certaines pages est un bel hommage rendu à Rimbaud, ce poète sur lequel le héros-narrateur a construit son identité.
« J’en vins à douter de moi-même, à me demander si je ne baignais pas dans l’imposture, si, réellement, une parenté existait entre Rimbaud et moi, je perdais mon identité, celle sur laquelle s’était forgée toute ma personnalité » (p. 114).
L’originalité du sujet tient en particulier à son traitement par le prisme d’un narrateur à la naïveté déconcertante qui finit par être touchante. On ne sort jamais indemne de la diabolique spirale du mensonge.
On se laisse entraîner par le rythme de ce roman et les péripéties politiques, existentielles et amoureuses du héros qui a laissé derrière lui une femme et un fils, qui bientôt viendront le rejoindre en France ; et on le referme en se posant plus sérieusement qu’auparavant la question de l’immigration clandestine.
« La notion du bien et du mal était relative non seulement aux individus, aux traditions mais, également, à la durée sur laquelle portait le jugement » (pp. 203-204).
Sophie Adriansen
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